La lecture que nous avons réalisée de certains passages de ce film nous permet de synthétiser des enseignements éclairant la question initiale : l'inconscient fait-il obstacle à la connaissance de soi ?
- Durant tout le début du film, les personnages sont finalement analogues, transposés dans une dystopie, à ce que nous faisons de nos vies : ils travaillent, pour rapporter un salaire, et sont absorbés dans leur tâche (aller rapporter du minerai sur Terre) ; la préoccupation première de plusieurs d'entre eux, lorsque la mission d'exploration leur est donnée, est d'ailleurs de savoir s'ils vont en être rémunérés. Ce faisant, ils sont symptomatiques de ce que Pascal identifie comme étant une fuite de soi-même dans le divertissement. Il apparaît donc que, contempler notre condition nous étant difficilement supportable, nous nous fuyons nous-mêmes.
- Lorsque la traque commence, ils ne savent pas ce qu'ils cherchent. Or, pour chercher quelque chose, il est logiquement nécessaire que cette chose nous soit connue, afin que l'on ait conscience de son absence, pour mesurer son manque. C'est par le détour d'une ruse qu'ils vont initier leur recherche : l'énigme du message, qu'ils croient être un message de détresse, qui s'affiche sur l'écran de contrôle. De la même manière, sortant de son sommeil, celui qui vient de rêver en ramène des bribes d'énigmes : le rêve, "voie royale vers l'inconscient", constitue une énigme à déchiffrer, qui comme toute énigme attise notre curiosité, en même temps qu'elle nous effraie par son étrangeté.
- Les passagers du Nostromo vont devoir affronter quelque chose d'inconnu, de caché (d'abord dans l'énigme, puis dans un œuf, puis dans le corps de Kane, puis dans le vaisseau), sans savoir ce qu'ils affrontent. Or une seule d'entre eux va réellement aller jusqu'à l'affrontement : les autres personnages se font engloutir par un monstre inconnu sans être parvenus à lui faire face (affronter signifie étymologiquement "faire face, faire front"). Si nous poursuivons le parallèle entre le monstre et l'inconscient, nous pouvons en tirer la conclusion qu'il est pathogène (cause de trouble ou de souffrance) pour celui qui ignore ce qu'il est, c'est-à-dire le garde secret, sans parvenir à le faire accéder à la conscience.
- Ripley, quant à elle, lui fait face, dans une scène dont le montage, par des va-et-vient rapides entre l'Alien et son visage, fait de chacun le double et finalement le miroir de l'autre, comme s'ils étaient deux faces (l'une éclairée, l'autre obscure) d'un même être. Elle affronte pour finir ses propres peurs, qu'elle a le courage de regarder en face. Cet affrontement est terrifiant, douloureux : on peut aisément comprendre que le premier mouvement de Ripley, durant tout le début du film, soit d'abord de vouloir fuir "la chose".
- À ce stade, ils sont encore deux, face à face : cette scène, dans l'affrontement, la place face à elle-même, ou plutôt à ce qu'il y a de sombre en elle-même, dans une sorte d'extériorité. Ripley et l'Alien, dans ce face-à-face, font connaissance. Mais tous les personnages qui en sont restés là, dans une extériorité, une dualité entre eux et l'Alien, ont été dévorés par lui, absorbés par ses ténèbres. La différence, ici, est que, lors de la destruction de l'Alien, Ripley devient une guerrière qui ne recule devant aucune forme de violence : elle le gaze, lui transperce le corps, le carbonise. En réalité, le mal ne lui est finalement plus extérieur : elle le laisse se déchaîner en elle, elle l'accepte comme une part d'elle-même, dans ses actes meurtriers. Nous pouvons dire que, après avoir littéralement fait connaissance avec ses propres pulsions violentes et destructrices qu'elle avait face à elle, désormais elle les endosse, les comprend.
Au terme de l'analyse, nous en venons donc à distinguer et différencier connaître (décrire, expliquer) de comprendre. Cela signifierait que, une fois l'inconscient accédé à la conscience, se réalise une forme d'unification du psychisme : non seulement nous pouvons dire de Ripley que, ne cherchant pas à connaître l'Alien, c'est ainsi qu'elle le comprend, mais nous pouvons même affirmer que c'est justement parce qu'elle a résolu l'énigme qu'elle y parvient.
Nous voyons alors comment le caractère énigmatique de l'énigme a, ici, toutes les caractéristiques de l'obstacle : il "barre le chemin", sans pour autant être infranchissable, et c'est dans l'urgence de le franchir, pour aller "derrière", que la réponse apparaît.
De ce fait, nous pourrions retenir que l'inconscient, dès lors que nous acceptons qu'il nous empêche d'avoir une connaissance claire et entière de nous-mêmes, nous permet de nous comprendre.